L’enfance et l’adolescence
Eugène Brière était le fils d’Henry Brière et Louise-Anna Martel. Il est né à Marieville le 8 mars 1886 et y a été baptisé le lendemain.
Cette famille marievilloise comptera 11 bouches à nourrir; Eugène est précédé de deux frères et trois sœurs et sera suivi de trois petites sœurs. La petite Anna décède prématurément à l’âge de neuf ans, en juin 1893, ce qui n’a pas été sans affecter le petit Eugène et toute sa famille.
À la fin du 19e siècle, la famille connaît des difficultés financières, comme bien d’autres cultivateurs à l’époque. Les Brière quittent donc le Québec pour séjourner aux États-Unis dans l’espoir d’y trouver de meilleures conditions de vie. Florida, Elphégina et Rosetta s’établiront dans l’état du Massachusetts où ils fonderont leurs propres familles. Eugène, son frère Arthur et ses petites sœurs accompagneront leurs parents lors du retour à Marieville vers 1901.
Les deuils et les pertes
À l’automne 1907, Eugène voit partir ses sœurs Marie-Rose et Ernestine qui entrent au Couvent des Sœurs de la Présentation de Marie, à Saint-Hyacinthe.
Un autre deuil important viendra assombrir la vie d’Eugène alors que son père décède au début de janvier 1912.
En avril suivant, c’est au tour de son frère Arthur de prendre épouse et de repartir pour les États-Unis; ils devaient en revenir à la fin de la même année pour s’établir à Marieville, d’abord dans le village puis sur le Chemin du Côteau. Sa belle-sœur, Blanche Davignon, se souvient d’Eugène comme d’un jeune homme doux et très gentil, travailleur et toujours prêt à lui rendre service, notamment en gardant ses petits neveux, Germaine et Gérard.
Selon sa nièce Huguette Brière, Eugène aurait exploité une entreprise avicole jusqu’à ce qu’une autre tragédie ne survienne alors qu’un incendie détruit ses poulaillers incluant les volatiles et l’équipement. Ce malheureux événement aurait atteint profondément le jeune homme qui doit rebâtir sa vie et lutter contre le découragement.
La triste aventure
Eugène est maintenant âgé de 30 ans, il est toujours célibataire, la dernière de ses sœurs est mariée depuis plus d’un an et sa mère voyage d’un membre de la famille à l’autre.
Une journée d’automne de l’année 1916, il s’embarque sur le train qui le conduit à Saint-Hyacinthe, possiblement pour y régler quelques affaires. Le dimanche 12 novembre, entre 10 et 11 heures du soir, il se rend à la gare du Grand Tronc dans le but de rentrer chez lui. Il constate que le dernier train a déjà quitté et que son retour devra attendre au lendemain. Vers 11 heures, il s’est assoupi sur un banc dans la salle d’attente de la gare du Grand Tronc lorsqu’ il est subitement réveillé par un agent de police qui le somme de quitter les lieux sur-le-champ. Eugène, possiblement sous l’effet de la surprise, s’engage dans une altercation avec l’agent et l’escarmouche éclate; il bouscule l’agent et on procède à son arrestation.
Les journaux de l’époque rapportent que, en faisant sa ronde habituelle, un constable aurait abordé le voyageur afin de voir s’il n’avait pas un endroit où passer la nuit. Eugène aurait répondu que cela ne le regardait pas. L’agent lui aurait offert de le conduire à la station jusqu’à ce qu’il puisse reprendre sa route. Le passager l’aurait alors frappé à la figure. Le policier aurait tenté de maîtriser son agresseur; aidé de monsieur Gagnon, commis de l’Hôtel Flibotte, il aurait réussi à passer les menottes au voyageur jugé peu commode avant de l’amener au poste de police puis de le conduire à la prison commune. Le geste posé envers un représentant de l’autorité publique ne pouvait rester sans représailles et les conséquences allaient s’ensuivre.
Le 27 novembre, soit 15 jours plus tard, Eugène comparaît devant le Magistrat Émile Marin. Il est accusé d’avoir « …assailli et battu le constable Henri Beauregard de la dite cité, alors exerçant ses fonctions, dans le but d’empêcher sa propre arrestation, en le frappant et lui causant des blessures corporelles graves… ». Le juge l’interpelle pour savoir s’il consent à subir son procès devant lui sans l’intervention d’un jury. Eugène, qu’on peut imaginer fort désemparé et démuni devant sa situation, consent à être ainsi jugé et il plaide coupable sans plus de défense. Il est immédiatement condamné à quatre mois de détention dans la prison commune du district de Saint-Hyacinthe avec travaux forcés. Une justice étonnamment expéditive était rendue sans les services juridiques dont les accusés peuvent se prévaloir de nos jours. Le jeune homme est ainsi incarcéré pour tout l’hiver avec la perspective d’être libéré vers la fin du mois de mars. Il passe les Fêtes à l’ombre, comme le disait à l’époque, une période particulièrement pénible pour lui.
Le 27 février 1917, un mois avant sa libération, le shérif Cormier et le geôlier Benoît conduisent le prisonnier à l’Hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu de Montréal. Les archives de l’asile confirment qu’il a été amené de la prison de Saint-Hyacinthe et admis pour « mélancolie ». À cette époque, l’admission en de telles institutions ressemblait à une condamnation à vie puisque les possibilités de bénéficier d’un congé étaient quasi inexistantes. Eugène savait-il alors qu’il n’en sortirait jamais ?
Son neveu, Gérard Brière, se souvenait clairement d’avoir accompagné son père, Arthur Brière, lors de visites à son oncle Eugène, à l’hôpital psychiatrique. Il était doux, calme, de bonne humeur et toujours content de recevoir des visiteurs de sa famille. Son frère Arthur lui apportait du tabac à pipe, des sucreries préparées par Blanche, son épouse et belle-sœur d’Eugène, et d’autres effets personnels afin que son jeune frère ne manque pas de l’essentiel sur le plan matériel et qu’il ne se sente pas abandonné. Eugène se disait bien traité par les religieuses auxquelles il rendait de nombreux services. Adapté à la vie qu’il menait, il n’envisageait plus un retour en société après des années d’absence, incertain de trouver à nouveau le confort dans un contexte de vie devenu inhabituel.
Le décès
Eugène Brière décède à l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu de Montréal, le 1er avril 1948, emporté par des problèmes cardiaques, vasculaires et pulmonaires, à l’âge de 62 ans après 32 ans d’internement. Son corps est inhumé dans le cimetière de l’hôpital connu comme celui de la Communauté de Gamelin; après la fermeture de ce cimetière en 1958, les restes des 2 168 corps inhumés entre 1877 et 1958 sont transférés au Cimetière Saint-François d’Assise de Montréal. Eugène est rendu à son dernier repos.
Conclusion
La vie réserve parfois de mauvaises surprises et peut prendre rapidement un virage brusque et imprévisible, comme ce fut le cas pour Eugène Brière.
Sa vie a tourné pour un train manqué, une taloche administrée sous l’effet de surprise, une justice rendue rapidement sans défense et une période de mélancolie bien compréhensible confiée aux soins d’une institution psychiatrique sans porte de sortie. Connaîtrait-il le même sort aujourd’hui dans nos systèmes de justice et de santé ?!
C’est toujours un moment touchant pour moi de faire une courte visite sur sa tombe, de penser aux souffrances qu’il a dû endurer, de réciter une prière pour le repos de son âme et de déposer quelques fleurs pour rappeler que sa famille ne l’oublie pas.
Sources : Fonds Drouin-Actes numérisés; Ancestry.com-Recensement 1901; Archives des Sœurs de La Présentation de Marie de Saint-Hyacinthe; BAnQ-Archives judiciaires du district de Saint-Hyacinthe, Journal Le Courrier de Saint-Hyacinthe, Archives de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine; Cimetière Saint-François d’Assise; Huguette et Gérard Brière.